mardi 23 mars 2010

Polanski en ses oeuvres

Je suis allé voir, un peu par hasard, le dernier film de Roman Polanski, dans une salle d'un multiplex de Montparnasse. Le public, composé majoritairement de jeunes retraités dynamiques s'esclaffant gaiement aux facéties de quelques jeunes gens pleins d'esprit, qui avaient bizarrement décidé de sécher leurs cours pour aller s'enfermer au cinéma par ce premier après-midi printanier, était agréablement silencieux et concentré, se contentant de quelques rires discrets aux bons moments.
Inutile de revenir sur l'accueil triomphal de The Ghost-writer  par la critique et son récent prix au festival de Berlin, ni sur les récents déboires du réalisateur, autant d'éléments qui m'avaient tout d'abord rendu méfiant face à cette douteuse unanimité. Ceci dit, force est de reconnaître que si The Ghost-writer n'est pas le chef-d'oeuvre proclamé par d'aucuns et qu'on peut d'ores et déjà craindre un vieillissement difficile, il vaut tout de même son pesant de cacahouètes. 
L'intrigue tout d'abord : beaucoup de critiques se sont plus à insister sur l'aspect hitchcockien du film, ce qui relève soit de la flatterie soit du lieu-commun, puisque c'est tout le genre du Thriller (hollywodien s'entend) qui découle peu ou prou du cinéma d'Hitchcock... Polanski y excellant tout comme le Maître, il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'on y retrouve les influences du second chez le premier.

Remarquons plutôt au passage que le scénario tiré d'un roman de Robert Harris (qui est également le co-scénariste) a les défauts et les qualités des oeuvres de ce dernier : assez malin, avec un rythme rapide et des personnages convenus mais taillés de telle sorte qu'ils suscitent la sympathie du lecteur moyen, l'ensemble ficelé par une trame romanesque suffisamment classique pour ne pas trop surprendre le pékin moyen tout en maintenant le suspens jusqu'au bout. Du reste Robert Harris écrit ses romans comme un honnête tâcheron d'Hollywood réaliserait des blockbusters, ce qui explique sans doute que l'intrigue tout en étant assez prometteuse (allusion transparente à la politique de Tony Blair), rendra le film passablement obscur d'ici quelques années par son absence d'explications politiques claires et son moralisme attendu. 
C'est sur cette fruste et solide assise que Polanski va bâtir son film, et mâtin quel travail ! The Ghost-writer est un thriller à l'ancienne, où aucun plan n'est superflu, chaque scène s'agençant harmonieusement du début à la fin  (à l'exception d'un temps mort ou deux peut-être) ; surtout on y retrouve rapidement l'atmosphère très spéciale des grands films de Polanski - c'est-à-dire ceux d'avant Le Pianiste - faite de scène anodines où s'insèrent des petits bruits, les personnages bizarrement figés, les regards dont on ne sait s'ils sont inquiétants ou simplement vides, etc. Tous ces éléments  qui permettent à Polanski de composer dès le début un climat de malaise diffus qui finit par la crise de paranoïa habituelle et la conclusion fatalement absurde et cruelle. L'ultime scène qui clôt le film doit d'ailleurs être considérée comme la  véritable signature du cinéaste, qui sort enfin de l'académisme de ses dernières oeuvres. 

Le choix comme principal lieu de l'intrigue de l'île de Nantucket et de sa Villa-Bunker, qui semble devenir l'idéal de vie de la bourgeoisie américaine, mélange de baies vitrées ouvertes sur une mer hostile, de murs de bétons nus, d'espace et de minimalisme, est des plus judicieux pour développer cette impression d'étouffement et de piège. De ce point de vue, on pourrait presque voir The Ghost-writer comme une variation sur les Dix petits nègres d'Agatha Christie
L'influence agatha-christique est d'ailleurs renforcée par un habile casting, notamment avec Olivia Williams qui si elle est peu connue au cinéma se montre très convaincante dans son rôle quand Pierce Brosnan s'acharne à se rendre antipathique sans y parvenir tout à fait. Mais c'est surtout Ewan McGregor qu'on aurait pu croire définitivement perdu pour la Cause, qui renoue brillamment avec le genre dans lequel il avait été découvert (Shallow Grave, 1994). 

Bruno FORESTIER

Images : affiche et photos du film (source Allociné).
Blogger

4 commentaires:

  1. Doit-on comprendre que Le Pianiste est à classer parmi les "mauvais" films de R. Polanski ? Et pourquoi E. McGregor aurait-il dû être "perdu pour la Cause" ? (je me demande d'ailleurs de quelle "Cause" il s'agit...)

    RépondreSupprimer
  2. Le meilleur Polanski, sans contestation possible, c'est "Le Bal des Vampires". Le reste n'est que plaisanterie. C'est en tout cas mon avis, et je le partage.

    RépondreSupprimer
  3. Bruno Forestier24 mars 2010 à 20:51

    @ Élise:
    - Le Pianiste, n'est pas un mauvais film proprement dit, mais il est très en deçà du roman de Szpilman, comme du talent de Polanski.
    - "Perdu pour la cause", c'est simplement une boutade pour exprimer ma satisfaction de voir E. McGregor jouer sérieusement pour la première fois depuis longtemps.

    @ LB:
    Quel sectarisme ! Et Rosemary's baby ? Et Chinatown ?

    RépondreSupprimer
  4. "Rosemary's baby" et "Chinatown" ne valent pas, loin s'en faut, "Le bal de Vampires". Mais comme je l'ai déjà dit, cela n'engage que moi !

    RépondreSupprimer